Daghe Maître Sasa

Ce qui est sûr avec coach Obradovic, c’est qu’il ne laisse personne indifférent. Supporters, observateurs, joueurs, tous ont leur avis, parfois bon, parfois mauvais, sur l’entraineur monégasque. Et avec ce que nous avons pu observer en ce mois de septembre, au-delà des performances de Mike James, de Jordan Loyd, ou de Matthew Strazel, le véritable pilier de la saison qui s’ouvre pour la Roca Team n’est autre que son coach. C’est grâce à lui que nous sommes allés en Playoff d’Euroleague, et en finale du championnat. C’est aussi un peu à cause de lui que nous n’avons pas été champions… ou pas. Tentative d’analyse.

Beaucoup de questions et peu de réponses…

Quand je pense à Sasa Obradovic, j’ai souvent cette image en tête. Saison 2019-2020, match à domicile contre un adversaire dont l’identité s’est effacée de mon esprit. La Roca Team est en défense. Shoot, Kim Tillie est au rebond. Malheureusement, un joueur adverse lui passe devant, et score d’une claquette. Sur son banc, Sasa Obradovic entre en éruption. Kim retourne fissa sur le banc, et après une vive discussion, qui semble tourner sur la façon de mettre les pieds sur un écran de retard, Kim va s’assoir, alors que son coach continue de le vilipender furieusement. Pourquoi autant d’exubérance ? Pour un écran de retard ? On ne le saura pas. Surement que l’attitude nonchalante plus que cette « erreur » a couté son match à l’international français, qui ne reverra pas le parquet de la rencontre.

Autre cas de figure, presque similaire. Finale du Championnat de France 2022. Game 5. On joue la première minute, Yakuba Ouattara, le meilleur défenseur monégasque, et hypothétique facteur X pour sa capacité à défendre sur le meilleur joueur adverse, mais aussi à scorer à longue distance, reçoit un ballon dans le corner. Il n’a pas le temps de dégainer, alors il part en dribble. Malheureusement, sur son appui, le pied arrière mord la ligne. Sanction immédiate, balle à l’ASVEL. Sanction secondaire, mais non des moindres, il va très vitre retourner sur le banc. Pour ne plus jamais revenir en jeu… Pourquoi ? Dans un match ultra fermé défensivement, pourquoi se priver de son meilleur défenseur ? Bien plus libre, Okobo va faire un festival, et Monaco va perdre une nouvelle finale. Pourquoi ?

C’est la Sasa du démon…

Outre ces questions, un autre élément fait parfois frémir les supporters en tribunes, et devant leur télé : les fréquents passages en mode « volcan en éruption », avec ces longues litanies nerveuses à l’encontre de tel ou tel joueur, sur des points qui, parfois, semblent être des détails. Mais je vais rapidement oblitérer cet aspect-là. Oui, quand il hurle sur ses joueurs, son insistance est assez dérangeante. Mais est-ce le seul ? Non, il y en a dans tous les championnats des coachs qui braillent. Est-ce le pire ? Non, observez donc le coach du Barça, Šarūnas Jasikevičius, autre ancien immense joueur international, et vous comprendrez que Maître Sasa est presque un calme à côté. Difficile de reprocher quoi que ce soit à notre coach à ce niveau-là. Même si c’est parfois gênant pour les joueurs.

D’autant plus que ces éruptions ne sont au final que l’expression vocale et physique de l’hyper exigence qu’il a érigée en mode de vie au sein du groupe. Un mal nécessaire pour nos objectifs chaque saison à Monaco. En en tant que joueur, il a côtoyé le très haut niveau un long moment durant sa carrière, et il sait vraiment de quoi il parle en matière de sacrifices pour atteindre le sommet. Même si là encore, cela peut paraitre assez excessif, comme appeler son adjoint en pleine nuit pour discuter pick n’roll, interdire les téléphones portables plusieurs heures avant la rencontre, ou même regarder l’attitude de ses joueurs à l’échauffement, et juger dès lors si le joueur est prêt à jouer ses minutes, ou pas.

Le système Sasa face à la rudesse des résultats

En fait, le vrai point d’achoppement avec Sasa Obradovic, la raison pour laquelle je n’ai pas vraiment sauté au plafond quand il a été annoncé en tant que remplaçant à Zvezdan Mitrovic, c’est la façon dont jouent ses équipes. C’est bien simple, sur ce que l’on a pu voir du Monaco de maître Sasa jusque-là, c’est un jeu basé sur la créativité par le dribble, là où le basket que j’aime se base plutôt sur la créativité par la passe. En gros, je préfère voir des grands mouvements de ballon dans un système tactique aux petits oignons (ex les Spurs de 2014), que voir un joueur dribbler pendant 20 secondes en cherchant le miss-match sur pick n’roll afin d’essayer de déséquilibrer la défense en 1 vs 1. Un jeu ultra physique, ultra exigent, qui use les corps et les esprits de tout le monde, supporters y compris.

Et puis dans ce système-là, on a eu quelques compositions d’équipes farfelues, comme les séquences à 3 meneurs (Bost / Cole/ Clemmons ou encore James/ Lee/ Westerman), ou les small ball avec personne dans la raquette (ou Will Thomas, ce qui revient au même vu qu’il joue ultrapériphérique), séquences qui ont à chaque fois abouti à une caricature de la caricature. Et au final, quand le physique n’est plus à la hauteur, quand l’esprit est carbo après une saison complète sous pression H24, ces systèmes « minimalistes » deviennent de vrais handicaps pour la Roca Team. Ils sont ultra facile à défendre, et n’offrent aucun moyen pour se « rassurer » pendant nos temps faibles. Ce qui explique aussi pourquoi Maître Sasa s’est cassé les dents en finales lors de game 5 où son équipe a fini par lâcher après un rude combat.

Et pourtant, elle tourne…

Une dernière question me taraude : avait-il vraiment le choix ? Car si on se souvient des deux passages de Maître Sasa à Monaco, on trouve une demi-saison avec un effectif monté, et démonté, par el Tactikovsky, qu’il réussit quand même à hisser jusqu’en finale de ProA. Une autre demi-saison du même acabit, avec un effectif fracturé par les dissensions avec Mitrovic, qui a terminé avec des playoffs inespérés d’Euroleague, et à une poignée de seconde du titre de champion de France. Des réussites au vu de la situation de départ, et avec des effectifs qu’il n’avait pas forcément choisis. Et la seule saison où il avait un groupe qu’il a lui-même modelé, il s’est pris le COVID en pleine poire, et la situation du club (grosses difficultés budgétaires et zéro recru en approche) l’a obligé à aller voir ailleurs.

Et si la saison dernière est une saison pleine, mais sans titre, on peut y trouver un morceau d’explication dans sa déclaration en pleine finale, à propos de Jerry Boutsielle : « Des choses ont été décidées avant moi et ce n’est pas simple de satisfaire tout le monde. Je pense même que c’est impossible d’être juste avec tout le monde. Or, je n’ai pas été juste avec lui et ses qualités. » Elle est hyper lourde de sous-entendus qui peuvent expliquer un grand nombre de ses choix, qui étaient plus poussés par un certain équilibre relationnel (entre les joueurs, avec ses dirigeants ?) qu’une vraie logique sportive. Je pense ici à la présence systématique de Bacon en PO, avec une attitude de touriste à Hawaï, ou la titularisation systématique de Thomas, complètement carbonisé, et qui n’a assuré que durant le pauvre mois de mars…

Fin du programme imposé ?

Oui, l’an dernier, ce sont les choix de Sasa qui ont transformé le collectif, et son apport est indéniable dans la réussite de la fin de saison en Euroleague, et dans toutes ces rencontres qui nous ont fait vibrer. C’est grâce à lui que l’on est passé de la pire défense à l’une des plus redoutées d’Europe. Grâce à lui, Mike James est devenu le leader qu’on espérait, grâce à lui, on a retrouvé une hiérarchie salvatrice, source de cohérence, de cohésion et de résultats. Et oui, on a compris que ses rotations ont bien trop souvent été guidées par de l’extra sportif, et par les règles sur le quota d’étranger que l’on a pas été capable d’anticiper en amont. Quand tu n’as droit qu’à 4 Américains, et qu’on t’oblige à en aligner 2 qui n’apportent quasiment rien, forcément, tu finis par le payer sur le résultat final.

Cette saison, c’est lui qui va faire la chanson, qui va écrire les paroles, qui va choisir l’orchestre. C’est lui le seul maître à bord, le fameux « master piece » comme on nous l’a vendue lors d’une des rares soirées des abonnés en 2019. Alors certes, je ne m’attends toujours pas à de grands mouvements de balles à chaque système, surtout quand on érige Mike James en chef de meute, et que ses lieutenants sont de pur ball-handler tel que Okobo ou Loyd. Mais pour le reste, j’ai hâte. Les recrues américaines, Loyd, Blosomgame et Brown sont hyper Sasa compatible, et apportent un vrai plus au collectif. Et surtout nous avons enfin un vrai 5 majeur 100 % JFL capables d’aller en PO de ProA sans sourciller, et qui peuvent emmerder plus d’une équipe en Euroleague.

Oui, on en est sûr et certain : le destin de la Roca Team cette saison dépend de son maître d’orchestre en costard sur le banc. Si son attitude peut exaspérer parfois, et que certains choix tactiques soulèvent moult questions, il n’en reste pas moins que les qualités de Sasa Obradovic ne sont plus à démontrer. Avec une équipe qu’il n’a pas choisie, il a par deux fois failli décrocher le Graal. Il est désormais maître de la table ronde, il a choisi ses preux chevaliers dans ce qui est, selon ses propres mots, « la chance d’une vie ». Charge à lui de mener sa petite troupe jusqu’au titre suprême du Championnat de France que l’on attend depuis si longtemps. Et pourquoi pas en guise de joli supplément, au final Four d’Euroleague ! Et avec Maître Sasa, on y croit !

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📸 Photo : Miko Missana

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